l'affaire moutonbourgogne

4 septembre, 20h34

La grande salle du conseil de l'alliance était totalement enfumée. Quelques uns des plus célèbres membres du Spectre et de la branche cadette de cette famille mafieuse étaient assis autours d'une grande table ovale.
Plusieurs gardes du corps et portes-flingues se tenaient, debout ou assis, à la périphérie de la salle pour ne pas gêner les boss. Une jeune femme au service du parrain se pencha près de Jack-le-barge pour lui servir une autre rasade du wiskhy de contrebande que Boris importait directement d'écosse (le meilleur, disait-il toujours).

"Alors, qu'est-ce qu'on fait"? demanda le parrain qui se tenait selon toute logique en bout de table.
"Moi je me vois pas mener une guerre de clans vu les effectifs présents actuellement. L'appel que j'ai lancé aujourd'hui a été peu suivi, alors je refuse de prendre la responsabilité d'impliquer toute l'alliance sur une action si peu organisée", répondit Cimino, qui depuis quelques mois s'était vu confier le poste de "ministre de la guerre" (il aimait beaucoup ce titre pompeux)
-Ouais, mais on va pas le laisser s'en tirer comme ça, faut faire quelque chose! Si personne s'en charge, c'est moi qui irait le sortir de ses anges de la mort à coup de pied au cul" gueula Jack, l'haleine passablement chargée. Ce dernier avait plus l'air d'un bagnard que d'un professeur de philosophie, mais c'était son franc-parler et son énergie débordante qui lui avaient valus son poste de parrain dans l'alliance fille du Spectre : l'Ombre du Spectre.
Wiseman, qui à son habitude, observait la scène comme de loin, avec une certaine circonspection. Il faisait rouler une pièce sur la table avec son doigt. Il fit signe à la serveuse de venir lui servir un café supplémentaire et tira longuement sur sa cigarette comme si ça l'aidait à mieux réfléchir.
"Et puis il y a eu le problème avec bigyako", dit calmement Cimino comme si l'intéressé n'avait pas été là. "Je commence à en avoir marre que mes consignes ne soient pas respectées à la lettre, la prochaine fois, je prendrais des sanctions."
Bigyako avait été intégré dans l'Ombre du Spectre et il était suffisamment volontaire pour qu'on le laisse siéger lors de certains conseils. Sans doute était-ce son inexpérience qui lui avait fait envoyer ses gars espionner des membres de l'alliance de la Compagnie des Anges de la Mort. Sans fut-ce son inexpérience qui le poussa encore à prendre la parole :
"Mais j'ai présenté mes excuses, et au moins moi, je me suis proposé pour participer à la guerre au moins en espionnant!"
Cimino se contenta de regarder son verre en guise de réponse, ce qui semblait montrer qu'il n'était pas tout à fait en désaccord avec le nouveau.

Le silence plana quelques secondes sur la salle du conseil, comme les pensées des chefs semblaient aussi evanescente que les fumées de cigarettes qui convolutaient en l'air.

Mettons qu'on remette ça à plus tard, trancha Boris le Hachoir, on attend le retour de beuns et on avisera ensuite pour cette idée de guerre. Pour l'heure, on attend, et je vous demande de faire particulièrement attention, étant donné la menace qui plane sur nos alliés de la Fédération du Banditisme Italien...

Sur ces paroles, les boss surent que la réunion était finie. C'était comme ça que fonctionnait le Spectre. Chacun pouvait donner son avis, et tout le monde était écouté, mais Boris finissait toujours par trancher, et il était rare qu'on ne l'écoute pas.
Cimino se leva et fit un signe à son porte-flingue qui lui donna son chapeau et l'aida à enfiler son manteau. Comme les boss se saluaient les uns les autres en prenant le chemin de la sortie, Cimino se dit qu'il n'avait pas envie d'attendre, lui, et qu'il saurait bien punir ce traître, puisque ça semblait presque être son destin...

5 septembre, 7h58

Cimino n'avait pas dormi de la nuit. La douleur qui lui vrillait l'estomac l'avait d'ailleurs privé de tout repos et il avait ressassé en lui-même les pensées les plus sombres. C'est incroyable comme l'angoisse et la douleur peuvent modifier votre conscience, comme elles altèrent la perception de vos propres souvenirs.
Il avait pensé à la réunion de la veille, à la manière dont la discussion avait finalement aboutie sur l'inaction. Il sentait alors des bouffées de colère incontrôlées qui lui prenait les poumons et mettaient un goût amer dans sa bouche, pour finir par redescendre dans son estomac et relancer son ulcère.

C'était donc ça qui le travaillait, l'idée toujours aussi fixe de débusquer les traîtres et de les punir. Peut-être était-ce dû au fait qu'il était de ce qu'on pouvait appeler "l'ancienne école", mais ça lui paraissait être le pire des crimes, un blasphème insupportable qu'il fallait châtier.

Il savait d'autant plus que la décision avait été prise la veille de ne pas agir pour l'instant. Mais son mal au ventre le vrillait et son cerveau tournait en boucle sur les mêmes idées, sur la même compulsion de violence. Il avait quelques images qui lui revenaient de son retour de Sicile et de la manière dont il avait coupé la tête de son ancien lieutenant avec un simple couteau. Quelque chose au fond de lui se demandait comment il avait pu être aussi barbare, mais ce genre d'envie lui arrivaient parfois sans qu'il ait l'occasion d'y réfléchir et dans ces moments, il contôlait plus rien.

Et c'était ce genre d'envie qu'il avait pour Moutonbourgogne, il avait envie d'aller le voir et de lui expliquer comment on égorge un mouton en Italie, comment on le vide de son sang.
Mais il savait qu'il se sentait systématiquement plus mal après avoir accompli ce genre d'acte, que son mal au ventre faisait qu'augmenter jusqu'à la fois d'après.

C'était ça qui le torturait depuis le début de la nuit. Cette pulsion de destruction et la tentative désespérée de la réfreiner.

5 septembre, 10h40

Cimino était assis dans le noir, devant son bureau. La seule lueur qui perçait cette nuit artificielle était celle de sa clope, un petit point incandescent qui ne bougeait qu'à peine.
Il avait comme un sentiment de soulagement, mais un peu de culpabilité aussi. Il rationalisait, se disant qu'en agissant ainsi, il avait été en adéquation avec son sens de l'honneur, et qu'il avait peut-être évité la guerre.

Comme il écrasait son mégot dans le cendrier de son bureau, le téléphone sonna et il décrocha dans le seconde :

"C'est moi, chef. On a fait comme vous avez dit. On a quelques morts, mais on a nettoyé toutes ses planques, il a quasiment plus aucun gars."

La voix de Jeff grésillait dans le combiné, mais Michael avait bien savouré toutes ses paroles. La bouche pateuse, il répondit :

"Et lui, vous l'avez chopé, vous lui avez fait passé mon message?"
-Oui, chef, vous inquiétez pas, répondit Jeff, on l'a pas blessé comme vous aviez demandé, mais on lui a bien tout expliqué.
-Ok, vous pouvez rentrer. Prenez tout.", conclut Cimino, juste avant de raccrocher.

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